L'histoire de Tyler
Tyler Redublo est le proche aidant de sa grand-mère Alicia, qui vit avec un trouble neurocognitif. Il nous parle ici de son rôle qui a débuté à l’adolescence et de la découverte dans sa vingtaine d’une communauté de personnes qui partagent ses expériences.
« Je suis proche aidant. Plus précisément, je suis un jeune proche aidant, de ma grand-mère Alicia, depuis près de 10 ans maintenant. Mon rôle a commencé à 15 ans, alors que j’étais encore au secondaire. Ma grand-mère s’appelle Alicia, mais mes frères et soeurs et moi l’appelions « Maman », car elle est une membre extrêmement importante de notre famille. Elle était la première à venir nous chercher, ma fratrie et moi, à l’école ou à nous attendre à l’arrêt de bus pour que nous puissions rentrer ensemble à pied. Elle cuisinait également de délicieux plats philippins pour toute la famille et était une boulangère passionnée.
L’un des premiers symptômes des troubles neurocognitifs que nous avons remarqués a été lorsqu’elle a commencé à égarer des choses. Une fois, je me souviens d’avoir ouvert le four pour voir si le dîner avait été préparé, et au lieu de cela, j’ai été surpris d’y trouver des coussins de canapé à l’intérieur. Il est devenu évident que quelque chose n’allait pas. Une autre fois, Maman cuisinait du poulet; une recette qu’elle avait faite à la perfection pendant des années. Je me souviens qu’en mordant dedans, je me suis rendu compte que c’était cru. C’était la première fois que cela arrivait.
En ce qui concerne mon rôle de proche aidant, il s’agissait en grande partie de soutenir Maman et ma propre mère, Judy, sa principale proche aidante. En particulier, Maman participait à des programmes de jour offerts par la Société Alzheimer. Donc, avant de partir pour l’école, je l’aidais à prendre ses médicaments, à manger, à s’habiller et je l’accompagnais jusqu’au bus. Au retour de l’école, ma fratrie et moi veillions également à ce qu’elle rentre à la maison en toute sécurité.
Au fil du temps, nous avons également appris à utiliser des stratégies de désescalade quand elle se fâchait. Une situation difficile à laquelle nous étions souvent confrontés était lorsqu’elle pensait que les membres de notre famille lui volaient de l’argent. Elle me demandait : « Tyler, où as-tu mis ma carte de banque? » Et je lui répondais : « Maman, en fait, elle est à la banque en ce moment parce qu’on va en recevoir une nouvelle. » Au lieu de réagir émotionnellement, ça l’aidait à rester calme et ça la rassurait.
Pour moi, une partie difficile de la prestation des soins, en particulier au secondaire, était de ne pas savoir à quelle facette de Maman ou à quel genre de situations je serais confronté au retour de l’école. L’incertitude et le déclin progressif de son état de santé me stressaient, me rendaient triste, en colère et m’isolaient. À cause de ces émotions, je ne me sentais pas souvent à l’aise de rentrer chez moi, sachant qu’il serait plus difficile d’étudier ou de me concentrer sur mon travail.
« Pour moi, une partie difficile de la prestation des soins, en particulier au secondaire, était de ne pas savoir à quelle facette de Maman ou à quel genre de situations je serais confronté au retour de l’école […] pour faire face à ces émotions, j’essayais de m’occuper le plus possible. »
De plus, pour faire face à ces émotions, j’essayais de m’occuper le plus possible. Par exemple, je me suis inscrit à des équipes de sport, j’ai fait des activités parascolaires et j’ai eu un emploi à temps partiel. D’une certaine manière, je m’échappais temporairement de la prestation de soins, et ces activités m’ont énormément aidé.
« Quelque chose que j’aimerais partager avec d’autres jeunes proches aidants, ou d’autres proches aidants en général, c’est d’essayer d’établir des relations avec des personnes capables d’écouter et de comprendre. Vous n’avez pas besoin d’assumer vos responsabilités seul·e si vous ne le souhaitez pas! Faites de votre mieux pour entretenir vos relations. »
Mon rôle de proche aidant a également changé ma vie sociale, ce qui a parfois dressé des obstacles entre mes pairs et moi. Pendant toutes mes années au secondaire, en particulier lorsque la maladie de Maman en était aux premiers stades, je ne voulais pas partager mes expériences avec qui que ce soit en dehors de ma famille. Cela était dû en grande partie aux préjugés et au sentiment que les gens ne pouvaient pas s’identifier à moi et à mes expériences.
Mais ensuite, pendant la dernière année du secondaire, j’ai finalement trouvé le courage de parler à deux de mes camarades les plus proches de la situation de Maman et de ma famille.
Je me souviens très bien du moment : c’était une nuit d’été et nous étions assis ensemble dans un stationnement. Je leur ai dit que ma grand-mère vivait avec la maladie d’Alzheimer et que je m’occupais d’elle. Ce fut vraiment libérateur, comme si un poids énorme avait été enlevé de mes épaules. Et ce fut aussi un moment de complicité important pour nous, car ces camarades m’ont révélé s’occuper également de leurs grands-parents, eux aussi atteints d’un trouble neurocognitif! Cela m’a fait comprendre que ces troubles touchent beaucoup d’autres personnes, et pas seulement ma famille.
Après le secondaire, je suis allé à l’université, et c’est à ce moment-là que j’ai commencé à m’investir davantage dans mon rôle de jeune proche aidant; j’étais plus ouvert et j’acceptais davantage la situation. Par exemple, quand les gens me demandaient de sortir, je leur disais parfois : « Désolé, je ne peux pas, j’aide ma famille et ma grandmère ce soir. »
Quelque chose que j’aimerais partager avec d’autres jeunes proches aidants, ou d’autres proches aidants en général, c’est d’essayer d’établir des relations avec des personnes capables d’écouter et de comprendre. Vous n’avez pas besoin d’assumer vos responsabilités seul·e si vous ne le souhaitez pas! Faites de votre mieux pour entretenir vos relations. De plus, en prenant soin d’une autre personne, il est très facile de négliger ses propres besoins. Il est très important de prendre soin de soi pour pouvoir fournir des soins de qualité en continu! Alors, assurez-vous également de faire preuve de patience envers vous-mêmes et de prendre soin de vous!
Ce que j’ai trouvé gratifiant dans la prestation de soins, c’est d’apercevoir de brefs moments de la vraie personnalité de Maman. Quand nous jouions une chanson qu’elle connaissait et qu’elle commençait à chanter, par exemple. Ces moments évoquent beaucoup de souvenirs et de sentiments heureux et positifs.
Si je pouvais donner des conseils à la personne que j’étais avant, je lui dirais d’être honnête et de parler de ses expériences. Je lui dirais aussi de songer à contacter d’autres personnes qui lui ressemblent, des jeunes proches aidants, qui auront des conseils utiles et des expériences similaires à partager. »
Photo : Avec la permission de Tyler Redublo et de sa famille.