Les possibilités, la pandémie et Pearl : Bien vivre avec un trouble neurocognitif en ces temps marqués par la COVID-19
Lorsque la COVID-19 a provoqué la fermeture des établissements de soins de longue durée partout au Canada, Kim Neudorf était parmi les nombreux Canadiens préoccupés par la manière dont les changements affecteraient leurs parents.
La mère de Kim, Pearl, est atteinte de la maladie d’Alzheimer et d’un trouble cérébrovasculaire. Elle réside actuellement dans une maison de retraite à Prince Albert, en Saskatchewan. Malgré les nombreux défis ayant accompagné la pandémie, Kim et sa mère ont trouvé certaines manières de bien vivre avec la maladie. Voici leur histoire d’espoir.
En tant que jeune agricultrice, ma mère avait toujours quelque chose à faire et les activités ne manquaient pas… bien qu’en hiver, elle puisse aussi, à l’occasion, faire un casse-tête.
Étonnamment, elle ne s’est jamais énervée malgré toutes ces demandes qui lui parvenaient de toute part. Elle ne s’est jamais plainte des bouches à nourrir, y compris celle de son mari, ses enfants, ses vaches, ses poulets, ses porcs, ses chiens et ses chats. Elle passait des heures à la préparation des aliments : plantation des semences, récolte, abattage des animaux, préparation des fourrages, aller chercher de l’eau, mise en conserve, cuisson et nettoyage. Ma mère faisait tout ce qui semblait possible; que ce soit cuire une tarte, confectionner un costume, tricoter une couverture ou remplir les formulaires de déclaration d’impôt annuels pour la ferme. Elle s’y mettait. C’est tout. Elle était sérieuse et productive.
La lente progression de la maladie de ma mère nous a donné le temps de nous adapter et de devenir plus résilients pour affronter cette nouvelle réalité. Sa vie aurait pu être moins stressante si elle était plus simple; c’est une évidence. Ça lui aurait permis de se concentrer sur ses soins personnels et les choses qu’elle aime faire.
Vivre seule dans une maison de cinq chambres et avoir un grand jardin qui exige de l’entretien était agréable, mais éreintant. Les responsabilités habituelles la submergeaient et elle semblait être continuellement à la recherche d’un objet ou l’autre… une autre activité fatigante. Malgré son hésitation à quitter sa maison bien-aimée, déménager dans une maison de retraite lui a offert du réconfort, des opportunités de socialisation et de la sécurité, tout en préservant sa dignité et son estime personnelle.
La pandémie s’est accompagnée d’un bouleversement de ses habitudes de vie. Elle ne pouvait plus se joindre à ses amis dans la salle à manger pour prendre ses repas ou une tasse de café. Toutes les visites des membres de sa famille et de ses amis, les jeux et les activités physiques ont été suspendus. Cependant, elle était à l’aise d’être seule. Elle a appris à passer le temps avec des activités très simples, comme le solitaire, les mots croisés, la télévision et un peu de lecture.
Mais le temps passé à faire ces activités a augmenté avec la pandémie, et bien qu’elle se soit habituée à cette nouvelle normalité, elle a reconnu que les mots cachés commençaient à l’ennuyer. Je lui ai présenté des casse-têtes traditionnels très simples, mais trouver la pièce manquante lui semblait difficile; c’est ainsi que la boîte fut mise de côté et le casse-tête laissé en suspens.
Au début de la pandémie, de nombreuses personnes, comme moi, se sont investies dans le nettoyage en profondeur de la maison et le rangement. Je suis tombée sur un coloriage pour adultes qu’un ami m’avait offert. Sur un coup de tête, j’ai récupéré les vieux crayons des enfants de l’époque où ils allaient à l’école, et j’ai approché ma mère avec cette idée. Malgré qu’elle n’ait jamais été artiste, elle est tombée amoureuse du coloriage. Les tremblements qu’elle ressentait dans la main ont semblé disparaître et elle terminait magnifiquement chaque coloriage avec soin et fierté.
« C’est vraiment un excellent passe-temps… et le temps passe si vite! disait-elle en arborant un grand sourire. Les couleurs changent vraiment l’image, dit-elle en admirant l’une d’elles ornée d’un papillon. »
Chaque fois que nous lui rendons visite, derrière mon masque, je me fais un point d’honneur à lui demander ses dessins. Ce sont des moments heureux. Son travail me rappelle combien elle faisait attention à la plupart des choses qu’elle entreprenait—non pas d’une manière trop parfaite, mais plutôt à la manière d’une personne persévérante, pleine d’assurance qui profite de chaque moment. J’imagine que c’est pour cette raison que ses pérogies ne se sont jamais abîmés dans l’eau bouillante; ou que ses petits pains ont toujours eu la même taille avec une croute dorée et moelleuse; ou que chacune de ses tartes était un vrai régal… ou que ses casseroles en acier inoxydable brillaient de mille feux… comme sa voiture dans son garage propre et organisé.
Pour que ses petits-enfants restent en contact avec leur grand-mère, je leur envoie des photos du travail admirable de ma mère : des chats roses aux yeux d’un bleu éclatant, portant une écharpe et des tuques dans les tons pastel; des castors canadiens traversant une rivière bordée de fleurs sauvages; des nichoirs peuplés d’oiseaux de la couleur des bijoux.
J’ai appris que même si ma mère est atteinte d’une maladie dégénérative, son avenir est encore plein de possibilités : la possibilité d’éprouver des satisfactions personnelles, la possibilité d’enrichir la vie des autres avec de la joie et la possibilité de découvrir de nouvelles choses.