L'histoire de Navjot
Navjot Gill, partenaire de soins et chercheuse, nous fait part des obstacles qui se dressent pour obtenir des soins inclusifs et adaptés à la culture d’Asie du Sud pour sa grand-mère, qui vit avec un trouble neurocognitif, et ses parents, les partenaires de soins. Elle nous parle aussi de son travail de recherche sur les troubles neurocognitifs, qui vise à améliorer les services de demain pour les rendre plus inclusifs et améliorer leur qualité.
« Mon parcours avec les troubles neurocognitifs a commencé lorsque ma grand-mère a reçu son diagnostic en 2016. À cette époque, je savais ce qu’étaient les troubles neurocognitifs grâce à mes études collégiales en physiothérapie. Au départ, ce n’était pas si grave, elle s’en sortait bien. Mais à mesure que la maladie progressait, nous en sommes arrivés au point où il devait tout le temps y avoir une personne à la maison pour s’assurer qu’elle allait bien.
Très tôt, j’ai essayé d’expliquer à mes parents ce qu’étaient les troubles neurocognitifs. Et c’est à ce moment que j’ai constaté qu’il y avait beaucoup de programmes et de ressources dans notre région, mais qu’ils n’étaient pas adaptés à notre culture.
Par exemple, j’ai trouvé des informations sur les problèmes de sommeil et les troubles neurocognitifs. Je me suis dit : « Oh, ça pourrait être utile. Je vais voir si je peux les montrer à mes parents. » Mes parents comprenaient en partie l’information fournie, mais puisqu’elle était en anglais et que mes parents ne le parlent pas couramment, c’était difficile pour eux.
Et puis je me suis dit : « Je vais regarder si je peux trouver quelque chose en pendjabi. » Et nous en avions vraiment besoin pour que mes parents comprennent certains comportements, comme le fait de s’égarer et de s’agiter en fin d’après-midi. Par exemple, ma grand-mère parlait souvent de ses « bébés », sans se rendre compte que mes parents étaient des adultes. Dans son esprit, elle a la quarantaine, et mes parents lui disaient : « De quoi parles-tu? Tu sais, tes filles sont mariées, tu as des petits-enfants et des arrière-petitsenfants. » Ils la corrigeaient chaque fois. Et moi, je me disais : « Vous n’êtes pas censés faire ça. » Mais je n’avais aucun moyen de leur expliquer.
Alors, j’ai cherché : « Expliquer les troubles neurocognitifs en pendjabi. » La Société Alzheimer du Royaume-Uni dispose de nombreuses ressources. Mais leur système de santé est différent, leur sous-culture est différente, tout est différent. Je ne pouvais pas vraiment donner ces informations à mes parents ici au Canada et leur dire : « Voilà. C’est ce qu’il faut. »
En fin de compte, je leur ai montré une vidéo sur les troubles neurocognitifs qui avait été traduite en pendjabi. Elle présentait un couple européen vivant en banlieue, avec une voix hors champ robotisée en pendjabi. C’était la bonne langue, mais mes parents n’arrivaient pas à comprendre, car ils ne se voyaient pas représentés.
Pour moi, cette vidéo, et d’autres comme celle-là, a également renforcé cette idée qui existe dans certaines communautés sudasiatiques — que les troubles neurocognitifs sont des maladies européennes et qu’elles n’arrivent pas aux personnes de couleur. En fait, après avoir regardé cette vidéo, mon père m’a dit : « Tu vois, je te l’avais dit : c’est un couple blanc. » Ça les a rebutés.
Ce dont nous avons besoin, ce sont plus de ressources sur papier et sur vidéo où sont représentées des personnes d’origine sud-asiatique. Pas seulement une voix hors champ robotisée. Il faut quelque chose qui normalise qu’une personne à la peau brune puisse avoir un trouble neurocognitif aussi. Et ces ressources doivent mentionner des comportements et des conseils spécifiques, et pas seulement décrire les troubles neurocognitifs.
Heureusement, des travaux sont en cours. Le Sheridan College [et la Société Alzheimer de Peel] a récemment publié une trousse d’outils sur les troubles neurocognitifs en hindi, qui explique en quelque sorte les différents scénarios et ce que vous devez faire.
« Ce dont nous avons besoin, ce sont plus de ressources sur papier et sur vidéo où sont représentées des personnes d’origine sud-asiatique. »
Mais il reste encore un long chemin à parcourir pour que les services soient inclusifs et culturellement adaptés.
J’ai travaillé comme assistante de programme à la Société Alzheimer; j’ai donc eu une expérience directe des programmes incroyables qui y sont offerts, et je me suis toujours demandé : « Et si ma grand-mère pouvait y participer? » Mais si je lui dis d’aller jouer au bingo, eh bien, le bingo est un concept occidental. Elle n’a pas grandi en jouant au bingo. Elle n’a jamais compris le bingo. Je ne peux tout simplement pas la pousser à jouer à ce genre de choses.
Puis il y a aussi des problèmes avec les services de soins à domicile. Nous avons fait venir une préposée au service de soutien à la personne (PSSP), mais elle ne parlait pas notre langue. Elle parlait en anglais et ma mère, qui travaillait à plein temps, tout comme mon père, devait être sur place pour traduire et tout gérer. Au lieu d’un répit pendant lequel ma mère aurait pu souffler et faire une pause, elle devait absolument être sur place. Et, au lieu de cela, ma grandmère angoissait de plus en plus parce que la PSSP s’exprimait en anglais et que ma mère devait traduire. Ce n’était pas très clair et ça la préoccupait.
Mes parents n’ont donc pas de répit. Ils ne peuvent pas participer à ces groupes de soutien pour les partenaires de soins, parce que nous n’en parlons pas dans notre communauté. C’est un énorme préjugé.
Et il y a aussi un stéréotype qui circule chez certain·es professionnel·les de la santé en ce qui concerne la piété filiale : « Cette personne a la peau brune, alors ses proches s’en occuperont. » Le personnel de la santé ne fournit donc pas autant de ressources à nos familles; il suppose simplement qu’elles n’en ont pas besoin alors que c’est faux.
En vérité, nos familles ont besoin d’entendre : « Nous ne remettons pas en cause votre capacité à prodiguer des soins. Nous vous disons la vérité : vous ne pouvez pas faire ça par vous-même. Vous ne pourrez pas gérer votre vie et vous occuper à plein temps d’une personne vivant avec un trouble neurocognitif. C’est impossible. Ce serait mieux si vous receviez des soins. Vous devez pouvoir demander de l’aide et des ressources et défendre vos intérêts. »
C’est sur quoi portent mes recherches. J’étudie les expériences des personnes canadiennes d’origine sud-asiatique vivant avec un trouble neurocognitif et de leurs partenaires de soins. J’interroge des personnes vivant avec un trouble neurocognitif et leurs familles; mes entrevues sont en anglais, en pendjabi, en hindi et en ourdou. Je commence par les langues que je peux parler, pour que la recherche soit plus inclusive. Je discute également avec des spécialistes de la santé pour mesurer leur compréhension des soins culturellement adaptés et voir comment nous pouvons être les moteurs du changement.
Je ne dis pas que mes recherches apporteront d’énormes changements. Mais elles permettront de préparer le terrain sur lequel on pourra jeter les fondations. »
Photo : Avec la permission de Navjot Gill.