Faces of dementia - Bob and Ron

L'histoire de Bob et Ron

Ron Stewart nous livre ici les expériences de son père, Bob, qui est né sourd. Bob a fait face à des obstacles tout au long de sa vie en ce qui concerne la communication et l’emploi, et plus tard dans sa vie, à des obstacles relatifs au traitement et au soutien pour les troubles neurocognitifs.

« Mon père est né dans les années 1930 et, comme vous pouvez l’imaginer, le soutien était limité pour les personnes sourdes. Ses parents ont décidé qu’il devait fréquenter le pensionnat de ce qui était alors connu sous le nom d’Ontario School for the Deaf (école ontarienne pour les sourds) à Belleville, en Ontario. L’école était située à trois heures de chez lui, et il y est allé plusieurs mois par an, pendant 12 ans. Pour chaque aller-retour qu’il effectuait en train, il était confronté à des difficultés pour communiquer et s’orienter.

À la fin de ses études, son père l’a encouragé à suivre une formation pour apprendre un métier. Il a fréquenté la H.B. Beal Secondary School à London, en Ontario, pour apprendre la mécanique automobile. Son père était un fervent défenseur de ses intérêts et il a persuadé l’école de l’autoriser à faire un test pratique afin d’obtenir sa licence de mécanicien de classe A. Il a réussi ses tests et est devenu l’une des premières personnes sourdes à obtenir ce type de licence en Ontario.

Dès son entrée sur le marché du travail, mon père s’est efforcé de communiquer avec ses employeurs et des collègues qui ne connaissaient pas la langue des signes. Il écrivait souvent sur du papier ou faisait de son mieux pour comprendre les gens qui faisaient des gestes avec leurs mains. Les petites entreprises ne voyaient pas la nécessité d’avoir un interprète pour les réunions d’équipe, ou ne connaissaient tout simplement pas l’existence de ce type de service. Ce n’est que lorsqu’il a été embauché à la division Diesel de General Motors, à London, que des interprètes sont venus l’aider lors des réunions.

En 2015, papa a reçu un diagnostic de maladie à corps de Lewy. Il avait des difficultés à comprendre les évaluations et les diagnostics initiaux, car il avait une formation scolaire équivalente à celle d’un élève de 2e année. Souvent, il n’y a pas de mots dans la langue des signes américaine pour ces termes cliniques. Ses premiers symptômes comprenaient des hallucinations : il voyait des petits animaux (comme des souris) ou d’autres personnes dans sa maison. Cela a été une grande source de stress pour ma mère qui a pris sur elle de s’occuper de lui. Elle a essayé de l’aider à comprendre son diagnostic et ce qu’il vivait.

Maman a été encouragée à l’inscrire à un programme de jour pour pouvoir profiter d’un peu de répit. Il a essayé d’assister à l’un d’eux, mais cela n’a pas fonctionné, car personne ne pouvait communiquer avec lui et il n’y avait pas d’argent pour faire venir des interprètes et l’aider à comprendre. Le personnel faisait de son mieux en le pointant du doigt, puis en pointant divers objets du doigt. Il a trouvé cela très frustrant. Il n’a jamais voulu causer d’ennuis (ou en avoir), alors il hochait souvent la tête, et prétendait comprendre ce qui se passait. Le personnel disait toujours à quel point il était sympathique.

J’ai essayé de militer en sa faveur en contactant divers ordres de gouvernement et des services de soutien locaux pour voir si on pouvait faire quelque chose. Nous savions qu’un jour il serait dans un établissement de soins de longue durée. Nous avions peur qu’il soit isolé et que personne ne communique avec lui. Je me souviens qu’il m’a dit que sa plus grande peur était d’être enfermé en prison ou dans un hôpital psychiatrique : il avait peur de l’isolement.

Un contact au gouvernement m’a recommandé de me rendre dans un établissement de soins de longue durée pour les personnes sourdes à Barrie, à trois heures de chez lui. Cette suggestion m’a mis en colère. Comment ma famille le soutiendrait-il s’il habitait à trois heures de la maison?

On a offert à ma mère plus d’heures de services de soutien à la personne (PSSP). Peu de préposé·es savaient communiquer en langue des signes et, par conséquent, il n’a pas reçu les soins nécessaires. Souvent, on lui a affecté des préposé·es ne pouvant pas communiquer en langue des signes, ou qui ne savaient pas communiquer avec lui.

« En 2015, papa a reçu un diagnostic de maladie à corps de Lewy. […] Souvent, il n’y a pas de mots dans la langue des signes américaine pour ces termes cliniques. »

Une spécialiste en gériatrie qui était très désireuse d’aider mon père a fait de son mieux pour comprendre sa situation et communiquer avec lui. Elle et la personne qui l’assistait ont pris l’initiative d’apprendre les bases de la langue des signes pour l’aider à se sentir à l’aise. Elles savaient aussi combien il était important d’avoir un ou une interprète à tous ses rendez-vous. C’était bien apprécié par mes parents. Maman disait souvent à quel point leurs rendez-vous étaient merveilleux, même si c’était pour entendre que les choses se détérioraient.

Papa s’est retrouvé dans un établissement de soins de longue durée en janvier 2020. Il se sentait isolé et était très en colère. Sa plus grande peur, être enfermé, se matérialisait en quelque sorte. Une infirmière a fait de son mieux pour apprendre la langue des signes, mais les troubles neurocognitifs de mon père étaient à leur paroxysme et il se méfiait de ses efforts, ce qui a entraîné d’autres problèmes. Nous savons que les membres du personnel ont fait de leur mieux et nous avons beaucoup de reconnaissance envers leurs efforts.

Papa est décédé en avril 2020 de cause naturelle. Et, même s’il nous manque, je suis reconnaissant qu’il ne se sente plus isolé, et qu’il n’ait plus à affronter les hallucinations provoquées par ses troubles neurocognitifs.

J’ai essayé d’estimer combien de personnes sourdes il y a en Ontario ou au Canada, mais il n’y a pas de statistiques robustes. Selon les estimations approximatives, 1 % de la population s’identifie comme telle. Cela représente environ 153 000 personnes en Ontario et quelque 396 000 personnes au Canada. En plus de cela, des sources estiment qu’environ 3,2 millions de personnes au Canada sont malentendantes.

L’Association des Sourds du Canada encourage les gouvernements fédéral et provincial ainsi que les administrations municipales à fournir des logements offrant des services de soutien aux personnes âgées sourdes qui sont conçus pour leurs besoins, et leur offre la compagnie d’autres résident·es et sourd·es.

L’Association plaide également en faveur d’une formation spéciale dispensée aux travailleurs et travailleuses qui soutiennent les personnes âgées sourdes dans divers établissements de soins. Cela pourrait inclure l’obligation de suivre un cours de base en langue des signes et sur la culture Sourde.

Aujourd’hui en 2023, trois ans après le décès de papa, il manque encore des soutiens appropriés pour les personnes sourdes vivant avec un trouble neurocognitif et leurs familles. Nous attendons encore. Je partage l’histoire de mon père parce que j’espère qu’elle pourra encourager le changement et aider d’autres personnes qui se trouvent dans une situation similaire. »

Adapté et étoffé à partir d’un article du bulletin Pulse de Soutien en cas de troubles du comportement en Ontario avec la permission de Ron Stewart.

Photos : Avec la permission de Ron Stewart et de sa famille.

Lisez d’autres histoires de personnes vivant avec des troubles neurocognitifs dans l'Étude phare, rapport 2 : Les multiples facettes des troubles neurocognitifs au Canada

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